Traverser un renoncement personnel ou professionnel : quelques clés !

Nous sommes nombreux, dans l’année qui vient de s’écouler, à avoir dû retarder ou abandonner certains projets qui nous tenaient à cœur. Confinement, télétravail, fermetures des lieux de rassemblement, annulations d’évènements… L’un a du décaler ou annuler son mariage. L’autre aura vu un projet tellement enthousiasmant être supprimé dans son entreprise, malgré toute l’énergie et les espoirs déjà mobilisés. Pour certains, cela a été plus tragique encore, avec la perte d’un proche, une faillite, une séparation.

Tous sont passés par une large palette d’émotions parfois perturbantes. Au-delà de l’évènement en lui-même, il est parfois angoissant de se découvrir si abattu quand on est d’ordinaire très dynamique, si en colère alors que nous sommes d’un naturel conciliant. Parfois même, ces états d’humeurs s’enchaînent, laissant notre entourage dérouté par une telle inconstance.

Alors que se passe-t-il en fait ? Qu’est-ce qui explique de tels changements d’état d’esprit et comment y faire face, pour nous ou pour nos proches, nos collègues ? Coup de projecteur sur ce qu’Elisabeth Kübler-Ross, psychiatre et psychologue née en 1926 et décédée en 2004, a mis en lumière sous le nom de Courbe du Deuil.

Le Deuil : Qu’est-ce que c’est ?

Lorsqu’on parle de Deuil, nous pensons immédiatement au décès d’un proche. C’est en effet à ce sujet que le Dr Kübler-Ross a identifié les différentes étapes du chemin de deuil, elle qui a longtemps travaillé avec des personnes en fin de vie et leurs familles. Ses patients, leurs proches, traversaient des stades d’émotions souvent similaires, lui permettant d’identifier un processus psychologique clair. S’il est vécu complètement, dans des conditions saines, celui-ci donne à chacun l’occasion de sortir en positif et sereinement de la situation.  

Mais ce processus apparait également dans de très nombreuses autres situations. Certaines sont drastiques, comme les exemples cités en début d’article. D’autres paraissent de moindre impact : La fin d’un projet sur lequel on a longtemps travaillé, une mutation de service avant d’avoir vu émerger celui-ci, ne pas avoir été sélectionné pour un programme d’échange ou une aide de l’Etat, l’éloignement d’un ami, un évènement climatique qui perturbe une récolte ou des vacances… Parfois même, ce sont des évènements considérés comme positifs, tels la fin des études, l’arrivée d’un enfant qui apporte son lot de joies et qui change aussi notre équilibre pro-perso, une prise de poste modifiant notre relationnel à l’équipe…

Tous ces évènements peuvent se résumer ainsi : un Deuil est un changement définitif et perçu comme étant de grande envergure pour celui qui le vit. Tous, nous en avons déjà vécus, et avec les années COVID, peut-être encore plus ces dernier temps.

La courbe du deuil se déroule en deux grandes périodes, d’abord une période descendante, puis une période de remontée. Elle commence par le Choc initial, l’annonce. Le processus de Deuil ne peut pas se réaliser sans cette étape de choc. S’il n’y en a pas (rumeurs de changements sans annonce véritable, par exemple), l’angoisse, l’attente et l’incertitude se mettent en place sans laisser d’opportunité à une acceptation saine des choses. C’est aussi cette incertitude actuelle qui pour beaucoup est très compliquée à gérer, le processus de deuil ne pouvant pas s’enclencher. Renoncer, décider soi-même d’abandonner un projet ou un rêve actuellement incertain peut donc être une première clé certes douloureuse mais importante pour avancer : En renonçant, on sort de l’incertitude pour laisser de la place à d’autres options.

Passé le choc de la nouvelle, un court moment de déni apparaît. L’état émotionnel de la personne remonte, le cerveau cherche à trouver toutes les preuves possibles que justement, ce n’est pas possible. C’est une période où un grand décalage peut apparaitre entre différentes personnes vivant le même bouleversement : l’un aura déjà intégré l’annonce d’un licenciement massif alors que son voisin haussera les épaules pour retourner travailler consciencieusement sur un projet devenu de facto obsolète, certain que tout ceci n’est qu’une rumeur. Ne vous braquez pas : vous n’êtes pas au même rythme, vous vous coordonnerez plus tard.

La phase descendante se poursuit avec l’apparition de la colère. Une grande révolte s’empare de nous lorsqu’enfin, nous avons pris la mesure du bouleversement à vivre. Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? C’est injuste ! Après tout ce que j’avais fait ! « Ils » n’avaient pas le droit ! Inutile de chercher à raisonner quelqu’un qui vit cette colère, elle est normale. Même chez ceux pour qui la colère est une émotion proscrite, il arrivera à un moment ou à un autre une forme de rancœur, de déception envers un tiers, la vie ou les circonstances. Si vous êtes l’objet de la colère de l’autre, gardez en tête qu’à cet instant il lui faut un coupable, même si cela vous parait injuste. Evitez d’aller au conflit si vous le pouvez, c’est stérile. Il reviendra sans doute vers vous quand il sera prêt. Et si c’est vous qui vivez cette colère, rappelez-vous que votre logique est surement un peu biaisée en ce moment. Evitez les éclats définitifs envers quelqu’un avant d’avoir pu faire le tri plus sereinement dans vos pensées ! Vous pourriez le regretter plus tard.

Vient ensuite la période du Marchandage, liée à l’angoisse que ce changement brutal occasionne. Dans cette étape, l’émotion principale est la peur. Comme toutes les émotions de base, elle apporte un message d’alerte (en l’occurrence « il y a un danger, protège toi ! »). C’est ici que la personne en plein deuil se demande « que vais-je devenir ? Que va-t-il se passer ensuite ? Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire ?». Elle s’inquiète pour la logistique (finances, logement, les proches, les problèmes administratifs ou matériels). Le marchandage apparait : « si je fais telle concession, alors peut-être qu’on pourrait continuer presque comme avant ?… ». Là aussi, il est important de se rappeler que la peur du changement est totalement normale dans le processus. Les solutions finiront par apparaître, la sérénité aussi… plus tard. Laissez-vous du temps !

La phase descendante se termine au plus bas du moral par ce qu’on appelle la Vallée de Larmes, la Zone de Dépression ou plus simplement encore, la Tristesse. Etape clé faite de peu de mots, sans actions ni solutions, elle fait passer le message que quelque chose nous manque, du vide en soi et du besoin de temps pour guérir ce vide – et non le remplir ! Comme une plaie qui se referme, au lieu d’essayer de boucher le trou. La tristesse nous force à ralentir, or notre société a tendance à nous faire sans cesse accélérer. C’est pourquoi beaucoup de gens sont mal à l’aise lorsqu’une personne de leur entourage vit un intense moment de tristesse : passé les premiers instants d’empathie, ils se sentent démunis et pressent plus ou moins consciemment leur proche de se remettre dans l’action, d’avancer, parfois en minimisant les choses (« Un.e de perdu.e, dix de retrouvé.es ! », « Bon, ce n’était qu’un chien… », « Tu en auras d’autres, des jobs intéressants ! »…). Un conseil si vous accompagnez un proche dans cette étape : Ne dites rien, restez présents et écoutez. Tenez la main si l’autre le supporte, comprenez ou essayez de comprendre, mais ne tentez pas de faire sortir une personne en pleine vallée de larmes de cet état. Au pire, vous provoquerez son rejet et retarderez sa capacité à s’entourer et à guérir, au mieux, cela ne lui servira à rien du tout. Si vous êtes vous-même en train de vivre une telle étape, prenez le temps, c’est ce que la tristesse cherche à vous faire vivre. Ne vous complaisez pas à écouter en boucle des musiques désespérantes ou à regarder de vieux albums photos pour autant, faites ce que vous avez à faire mais ne cherchez ni à vous noyer dans l’action – vous retardez l’inévitable – ni à ressasser sans fin – il faut trouver le juste milieu, s’écouter quand la tristesse surgit, et puis reprendre doucement son chemin quand la vague est passée. Là aussi, ayez une certaine indulgence envers vous-même et rassurez-vous : cela passera, vous ne resterez pas éternellement lent et abattu !  

Maintenant que les étapes de décroissance sont passées, le processus de deuil permet à la personne de commencer à remonter : L’acceptation marque le début de cette pente ascendante. Là, on recommence à se concentrer sur soi, sur la suite, et non plus sur le changement en lui-même. « Bon, c’est ainsi, qu’est-ce que je fais maintenant ? ». Il y a une forme de résignation, pas encore de l’enthousiasme, certes, mais cela permet de recommencer à avancer en ayant accepté ce nouveau paramètre, ce nouvel horizon.

Encore après, arrive l’étape du Pardon. On pardonne aux coupables identifiés à la phase de colère, mais surtout, on se pardonne à soi, on cesse de penser que tout était sous notre contrôle, on sort de la culpabilité (« peut-être que si j’avais fait autrement… »). Le pardon est un processus très personnel : il fait surtout du bien à celui qui le donne. De très bons livres existent sur le processus psychologique du pardon en lui-même, dans cette phase là, n’hésitez pas à vous renseigner, voir à travailler avec un professionnel de l’accompagnement – d’ailleurs, c’est valable à toutes les étapes !

Et puis, une fois passée cette intégration des changements, survient une étape parfois mal comprise, inattendue : l’étape de la Quête de Sens ou du Renouveau, aussi appelé « le Cadeau Caché ». En effet, les nouvelles habitudes, le changement d’organisation que le deuil apporte nécessairement donnent l’occasion de découvrir de nouvelles opportunités, des choses positives, intérieures (ce fameux sentiment « d’en sortir grandi », ou même « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort ») comme environnementales (« finalement, j’ai maintenant la possibilité de… alors qu’avant, c’était impossible »). Nombreux sont ceux d’entre nous qui, après avoir si mal vécu le confinement en télétravail, sans vie sociale, avec travail à distance et enfants en même temps, ont finalement découvert et apprécié ce fonctionnement, avec moins de transports, plus de temps pour le potager ou la lecture des magazines en retards et de temps en famille.

Cette étape apporte souvent une vraie joie. Elle peut aussi être mal vécue : Certains trouveront honteux d’éprouver du bonheur après un évènement malheureux de leur vie. Pourtant là aussi, il est inutile de se sentir coupable à l’idée de s’épanouir après un drame : notre cerveau trouve ces nouvelles ouvertures tout seul, elles sont communes à toutes personnes qui arrivent au bout d’un processus de deuil.

C’est à l’issue de ce Cadeau Caché, imprévu mais bien réel, que la Sérénité se met en place. L’évènement bouleversant est assimilé au passé. Le deuil est fait, le processus psychologique est complet : La personne qui l’a vécu est revenue à son état de fonctionnement normal, souvent avec des priorités de vie un peu différentes, mais à nouveau apte à se lancer dans d’autres projets, d’autres opportunités, avec enthousiasme.

Que retenir de cette courbe du deuil ? Eh bien déjà, que tout ce qu’il vous arrive est normal ! Comprendre ce qu’il se passe, savoir que vous n’êtes pas seul.e à vivre ces émotions, qu’elles sont un passage obligé et mieux encore, saines pour vous permettre de vous retrouver, est en général très rassurant. Ensuite, il faut garder en tête que cette courbe n’est pas figée. Pour certain, le marchandage arrivera avant la colère, pour d’autre il y aura des allers-retours entre certaines étapes, voir même des retours en arrière important alors qu’on pensait avoir beaucoup avancé. Pas d’inquiétude, revenir à l’état d’avancement qu’on vient de quitter est généralement bien plus rapide que lors d’un premier passage. L’essentiel reste le même, toutes les étapes seront vécues au sein du processus, malgré les petites variations propres à chacun.

Enfin, et même si pour l’instant vous ne pouvez pas le voir ou l’accepter, gardez en tête qu’un cadeau caché sera un jour ou l’autre au rendez-vous. Cette certitude peut vous permettre de traverser les tempêtes ! Beaucoup de grands noms l’expliquent dans leurs mémoires : c’est souvent suite à un deuil important, quel qu’il ait été, que leurs plus grandes réussites ont pris leurs sources.

Alors, si vous vous reconnaissez dans le fait d’avoir vécu une forme de deuil… C’est quoi votre cadeau caché ?